insomnies -- (lucie)

Il est tard. Trop, sûrement. Mais t'avais la bougeotte, ce soir, et après quelques heures à tourner dans ton lit, une trentaine de minutes à finalement piquer du nez, y a Ben qui s'est mis à parler dans ses rêves. Le festin de Noël qu'il raconte au dortoir entier — les autres dorment et s'en foutent, mais toi ça t'a réveillé. Et maintenant, ça t'empêche de pioncer.

Trop tard, mais t'as la bougeotte qui est revenue. Et cette fois, t'en peux plus.

Tu te lèves avec un soupir, attrapes ta couverture, ton oreiller et sors du dortoir. La bande de septième années que tu laisses derrière toi, endormis comme une bande de bébés repus. Bon vent. T'espères ne trouver personne dans la salle commune. À cette heure-là, peu de risques — à moins qu'un autre insomniaque ne se soit rabattu sur la même option. Les pas tranquilles, la pierre froide sous tes pieds. Quand t'arrives à découvert, tu perçois le feu crépiter. Le bruit te berce déjà — mais y a une silhouette qui brille à sa lumière, juste là. Les cheveux blonds, le front plissé en une moue de concentration. Cette fois, tu peux pas juste l'ignorer. Elle est debout bien trop tard pour travailler. « Mon dieu, Rosier. Ça t'arrive de dormir ? » T'as le sourire en coin, tes yeux déjà fatigués par la lumière vacillante du feu. Tu les frottes, balances ton oreiller et ta couverture sur le canapé puis t'y laisses tomber. « Tu sais que t'y verras sûrement plus clair demain, hein ? » Littéralement. Tu ne te couches pas. Pas encore. Ton corps encore un peu tendu par l'insomnie, alors que tu détailles Lucie. « Ça fait combien de temps que t'es sur ce truc ? » T'as le sourire tranquille. Aucune intention de l'emmerder, ou de te mêler de ce qui ne te regarde pas — mais bosser aussi tard, y a aucun moyen que ce soit sain. T'as beau la titiller en permanence, la Lucie, tu ne la juges pas. Et tu veux que son bien.

C’est dingue comment ce cours fatigue ses yeux, fatigue son cœur, énerve son cerveau. Elle repense aux yeux d’Amalia qui arrivent à enregistrer aisément les informations qui lui plaisent. Lucie, elle, en est incapable. Que la matière soit appréciée ou non, son cerveau n’assimile pas toutes les couleurs, les nuances, les sortilèges. C’est un méandre de mots incessants, d’un univers qui ne cesse de tourbillonner. Elle n’entend pas les bruits, elle n’entend que les crépitements et les mots qui s’alignent au bruit de fond. Elle apprend ainsi, récitant un tempo musical pour retenir les moindres ressources de connaissance. Elle n’entend pas les pas, ne voit pas la silhouette. Elle est prostrée à cette lecture incessante, ses deux tresses caressant les cornes du livre. « Mon dieu, Rosier. Ça t'arrive de dormir ? » Son corps sursaute et sa baguette pointe immédiatement sur la silhouette à la langue déliée. Le stresse qui envahie son corps et le sursaut qui la sort, animée par la crainte de la déconcentration. Elle l’abaisse aussitôt qu’elle reconnaît le jeune homme qui se tient devant elle. « Par Merlin Byrnes, tu m’as fait peur ! » Sa voix se veut agacée, pleine de reproche, pourtant elle ne peut s’élever sous peine de réveiller les deux dortoirs. « Tu sais que t'y verras sûrement plus clair demain, hein ? » Il soupire, l’incite à une meilleure révision sous le soleil de janvier alors qu’elle ne peut s’empêcher de soupirer. Il n’a pas à réviser autant, le beau Laurence. Tout lui est inné, en commençant par la communication et la sociabilité. Alors il s’installe près d’elle, oreiller et couverture pour veiller au chevet de la pauvre étudiante. « Je le sais bien. Mais la journée, cette salle commune est bruyante. Je préfère la nuit ici. » Elle se sent obligée de repousser les livres qui l’entourent par-dessus son plaid pour faire de la place à l’enfant de la lune. Ses yeux recommencent à fixer les lignes écrites dans la matinée en cours d’histoire de la magie, cherchant à apprendre par cœur la vie de ce grand sorcier pour connaître la chronologie magique sur le bout des doigts. « Ça fait combien de temps que t'es sur ce truc ? » Ses yeux roulent, de nouveau déconcentrée, de nouveau obligée de sortir de l’intrépide vie de Gwendolin la Fantasque. « Ca dépend quel heure il est actuellement. Le tout n’est pas de compter le temps, mais de savoir si je suis capable d’apprendre plus vite. Or en partant du fait que je suis interrompue par ton grand génie, je risque d’y passer la nuit. » Le ton est sec, presque énervée alors que dans le fond, ses iris trahissent un merci. Un appel à la compagnie, un refus de la solitude dans laquelle elle est plongée depuis bien trop longtemps. Elle n’oserait le dire, la fière vipère, mais elle l’apprécie bien le jeune Byrnes. Et elle est bien trop déçue de le voir partir un jour. Pourtant, son âme de sorcière ne peut s’empêcher de lui glisser des prospectus dans les poches sur les métiers recherchés, les études attendus qui pourraient correspondre pour le sorcier. Sa voix est froide et pourtant, son cœur se sait doux.