Honor to us all - Lexie

Comme toujours, Miach était l’un des premiers étudiants à se présenter au petit déjeuner. Ses parents ne lui avaient jamais appris à apprécier les grâces matinées. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, et, chez les Odgen, l’avenir était d’une importance capitale. Ainsi, alors que certains de ses camarades de dortoirs étaient encore plongés dans leurs rêves, Miach avait eu le temps de se préparer, de présenter ses prières aux Tuathaa Dé Dannam, comme chaque matin, et de rejoindre la grande salle. Le petit-déjeuner était le repas préféré de Miach. Une bonne moitié des élèves n’étaient pas vraiment du matin et, en général, les conversations étaient moins agitées que lors des autres repas, moins sonores également. Et puis, il aimait prendre son temps, manger copieusement pour avoir l’énergie d’affronter cette nouvelle journée, poser son regard un peu partout, analyser les visages, les bouts de conversation qui parvenaient jusqu’à lui. Parfois, il daignait accorder plus de deux mots à ses voisins de table. Mais, le plus souvent, il mangeait silencieusement, organisant dans son esprit sa journée, planifiant ses activités, cartographiant mentalement ses priorités.

Il en était là de son rituel matinal, occupé à lister les devoirs qu’il devait absolument terminer avant le soir et ceux sur lesquels il envisageait de prendre de l’avance. Comme toujours, il repousserait le parchemin sur les tentacula vénéneuse demande par le Professeur Flitwick à la toute dernière minute. En revanche, il envisageait de prendre de l’avance sur le cours de potions du lendemain en lisant le chapitre dédié dès ce soir dans son manuel.

L’arrivée du courrier le tira de ses pensées. C’était toujours un spectacle plutôt saisissant, de voir ainsi des dizaines de hiboux survoler les tables, se posant avec délicatesse – ou non – près de leur propriétaire pour livrer des lettres et colis en tout genre. Miach ne recevait que de rares missives de sa famille et, en général, les lettres auxquelles il ne s’attendait pas n’étaient pas porteuses d’excellentes nouvelles. Ainsi, lorsque Fail se posa sur son épaule, une lettre frappée du sceau des Ogden accrochée à la patte, il ne put s’empêcher de lancer un regard inquiet et quelque peu réprobateur au grand-duc.
Il décrocha la lettre et lui tendit un morceau de lard au volatile avant d’ouvrir l’enveloppe, curieux malgré tout de ce que ses parents pouvaient avoir à lui annoncer.

Ses yeux parcoururent l’écriture soignée de son père et, au fur et à mesure que les mots s’imprimaient dans son esprit, son visage devenait de plus en plus livide. Sa lecture terminée, il resta quelques secondes interdit, presque dans un état de choc. Ses yeux restaient fixés sur le parchemin, ne voyant plus que du vide, son visage avait perdu le peu de couleur qu’il pouvait avoir et ses mains tremblaient légèrement.

Ne pas craquer. Pas ici. Pas maintenant.

Il prit une grande inspiration. Ses mains cessèrent de trembler, ses yeux parvinrent à se détacher du parchemin.

Il entendit quelqu’un lui demandait s’il allait bien. Il répondit sèchement, sans même chercher à savoir qui avait posé la question. Son regard était ailleurs. Scrutant la table des Serpentards à la recherche d’une seule personne. Rapidement, il la trouva.

Lexie Rowle.

Elle leva les yeux vers lui, et il comprit qu’elle avait reçu exactement la même missive que la sienne. Il savait aussi qu’elle n’était pas capable de la même retenue que lui. Si elle explosait au beau milieu de la grande salle, ce serait une véritable catastrophe pour la réputation des deux adolescents. Il fallait sortir. Miach s’excusa auprès de ses amis, prétexta avoir oublié son livre de métamorphose, et se leva, abandonnant ses œufs brouillés à leur sort. Il posa son regard sur Lexie, espérant qu’elle comprenne, et qu’elle accepte de le suivre.

Il avait l’impression d’être sur un mode automatique. Il ne voyait plus rien ni personne. Il traversa la grande salle, le regard figé sur la porte, la main crispée sur la lettre. Il venait d’atteindre le hall quand Lexie le rattrapa.

« Pas ici … » souffla-t-il entre ses dents, de façon à ce qu’elle seule l’entende.

Il prit la direction de la salle commune, espérant ne pas attirer les soupçons, mais s’arrêta avant de l’atteindre. Un sortilège formulé du bout des lèvres et il put pénétrer dans ce qui était sans doute un ancien cachot. Lexie entra à son tour, il entendit la porte se refermer derrière lui, les plongeant dans l’obscurité. Un incendio plus tard, et les torches fixés au mur s’enflammèrent, éclairant de leur lueur dansante les deux étudiants figés.

« Tu étais au courant ? » demanda-t-il de but en blanc.

L’annonce, en soi, n’était pas une surprise. Miach avait toujours eu parfaitement conscience de la direction que prendrait son avenir. Il savait que tout était écrit, qu’aucune fausse note ne viendrait se glisser dans la partition parfaite de son futur. Il savait également que ses désirs ou ses aspirations personnelles n’auraient aucune importance. Il s’en était accommodé. C’était, selon lui, un bien mince sacrifice face à la vie qu’on lui promettait. Une vie de pouvoir, de puissance, d’honneur.

L’idée de se marier ne lui avait jamais fait ni chaud, ni froid. Il savait que le moment viendrait. Ses parents choisiraient une épouse à leur convenance, issue d’une famille respectable, alliant ainsi les Ogden à autre nom puissant.

Jamais, par tous les Dieux, il n’avait imaginé que leur choix se porterait sur Lexie Rowle.

« Si j’étais au courant ? Si moi  j’étais au courant ? » Répondit Lexie, dont le regard fou de colère et de haine contrastait étrangement avec celui, dur et froid, de Miach. « Comment peux-tu t’imaginer une seule seconde que j’aurais laissé faire ça ? »

Miach se mordit la lèvre inférieure. Il cherchait à comprendre. En quoi ses parents avaient-ils pu juger que Lexie Rowle serait une épouse idéale pour leur fils ? N’avaient-ils donc pas conscience de la haine qu’ils se portaient ? Ne voyaient-ils pas que son caractère impulsif et son dédain pour la bienséance pouvaient ruiner l’honneur de la famille avant même le mariage prononcé ? La vérité, et il le savait parfaitement, était que la personne de Lexie n’avait guère d’importance pour la famille Ogden. Tout ce qu’ils voyaient, c’était le nom de Rowle, c’était la fortune de la famille, c’était l’alliance de deux puissances du monde sorcier.

« Tu crois peut-être que moi, je voudrais de toi ? » lança-t-elle d’un ton glaçant.

Miach resta de marbre devant les démonstrations de dégoût de Lexie, haussant un sourcil méprisant, ennuyé par tous ces cris et ces simagrées.

« Ça n’arrivera jamais. » poursuivit-elle, catégorique.

Miach prit une grande inspiration, se rendant compte qu’elle ne prenait pas la mesure de la situation. Il n’avait pas envie d’être celui qui la ramènerait à la réalité, surtout parce que cela impliquait de nouveaux cris hystériques qui allaient lui écorcher les tympans.

« Je ne crois pas qu’on ait réellement le choix, répliqua-t-il, glacial, croisant ses bras sur sa poitrine. J’aimerais que tes petits caprices d’enfant gâté puissent nous sortir de cette situation, mais je ne pense pas que taper des pieds et pleurer dans les jupes de ta mère puisse changer quoi que ce soit … »

Il plongea son regard dans celui, toujours aussi furieux, de celle qui deviendrait sa femme.

« Ca me répugne autant qu’à toi, figure toi. Mais le plus important, c’est de ne pas provoquer de scandale. » poursuivit-il comme un avertissement.

Il savait que Lexie se moquait pas mal de toutes les convenances sociales. Cependant, les Ogden avaient déjà dû supporter l’esclandre provoqué par Elcmar, il n’était pas question que les journaux se repaissent à nouveau de leur déshonneur. Et il était encore plus impensable que Miach y soit associé. Malgré le choc de l’annonce, il restait un Ogden, loyal envers sa famille. Si ses parents estimaient que Lexie Rowle était celle qu’il devait épouser, il ne se permettrait pas de remettre en doute leur jugement. Il ferait tout ce qu’il faudrait pour éviter que l’emportement de Lexie ne cause du tort à sa famille.

Miach mettait tant d’énergie à imaginer les différentes réactions de Lexie et à chercher un moyen d’éviter le pire, qu’il en oubliait presque le fond du problème, n’intégrant pas encore le fait que, sitôt ses études terminées, ils deviendraient mari et femme. N’intégrant pas le fait que cela impliquait de passer le reste de leur vie ensemble. Préférant, peut-être, ne pas l’intégrer.